
Société « Les Compagnons de Saint-Isidore »
La Société Les Compagnons de Saint-Isidore a été créée et mise en œuvre par le service d’établissement rural de la Fédération de l’Union catholique des cultivateurs (UCC) du Saguenay (Québec) en vue de permettre l’établissement d’un certain nombre de familles dans une région rurale de l’Alberta.
Plus particulièrement, le but était la fondation et l’organisation matérielle, civile et religieuse d’une paroisse rurale dans la région de Rivière-la-Paix, conforme aux principes de la philosophie rurale chrétienne, familiale et sociale et aux exigences de l’économie rurale moderne. L’adhésion à la société se faisait à certaines conditions. Il fallait être catholique, sobre, honnête, loyal, reconnaissant et accepter la doctrine sociale de l’Église. L’adhésion se faisait sur une base contractuelle qui stipulait des mesures juridiques, disciplinaires et administratives.
Pendant plusieurs mois, l’abbé Gérard Bouchard, aumônier de la Jeunesse agricole catholique, tente de convaincre les dirigeants de l’UCC du bienfondé du projet d’établissement coopératif qu’il souhaite entreprendre dans la région de Rivière-la-Paix. C’est en 1951 que la Société est projetée. Elle sera décidée et préparée en 1952. Le 4 juillet, une délégation descend à Girouxville pour explorer les possibilités d’établissement en Alberta. C’est lors de ce voyage que le groupe visite la ferme Thompson, une propriété de 2200 acres, dont 1200 en culture, située à sept kilomètres de la ville de Peace River.
Arrivée des migrants
Sept familles sont arrivées du Québec au printemps de 1953 et ont acheté la ferme Thompson, ainsi que neuf quarts de section du département des Terres, 30 quarts de section (4800 acres) au total, qui ont été répartis, aménagés et exploités. La société est propriétaire des terres où se trouve le centre du hameau de Saint-Isidore et responsable, depuis sa création, de son développement économique et social.
« Le groupe s’était formé dans l’Est. Les sept premiers (membres) s’étaient regroupés dans l’Est. Avant de venir, il fallait qu’ils signent un contrat pour faire partie de la coopérative. Ils ont signé le contrat le 4 mars 1953 à Chambord et une vingtaine de jours après, ils partaient en train. Ça été vite! » – Hélène et Léon Lavoie (dont leur famille respective ont fait partie de ces pionniers)
Le premier contingent est arrivé à Girouxville le 23 mars 1953. Il est composé de quatre Compagnons : Jean-Jules et Angéline Fortin, Paul et Germaine Robert (avec leur huit enfants) ainsi que Paul-Arthur Fortin et Antoine Bouchard. Ils sont accompagnés de J.H. Desbiens, représentant de la Fédération de l’UCC du Saguenay.
Quelques semaines plus tard, un second contingent arrive : les familles de Philippe et Emma Lavoie, Ovila et Colombe Morissette, Valère et Lucette Grenier, ainsi que la femme et les enfants de Paul-Arthur Fortin. Toutes ces familles s’installent d’abord à Girouxville, car les installations à Saint-Isidore ne sont pas encore adéquates et pourraient notamment compromettre la question scolaire, d’une importance primordiale.
Puis, en avril 1954, arrivent dans la région de Rivière-la-Paix, Léopold et Lucille Bergeron ainsi que Paul et Marie-Rose Lavoie. D’autres familles arriveront dans les années suivantes, notamment Maurice Allard (1956), Jean-Marie et Gertrude Bergeron (1957) et Victorien et Béatrice Gagnon (1958).
« Beaucoup de ce monde-là était obligé de travailler en dehors pour faire vivre leur famille. Il y en a qui travaillaient sur le chemin de fer, d’autres ont travaillé sur la construction de cabanes pour les compagnies d’huile. […] Il fallait qu’ils travaillent en dehors pour avoir un gagne-pain pour nourrir leur famille et tenter d’ouvrir (défricher) leur terrain en même temps. » – Léon Lavoie
Des projets de développement
Le 29 avril 1953, le Conseil d’administration de la Société est porté à cinq membres. Antoine Bouchard est élu président, Valère Grenier, assistant-secrétaire.
La Société des Compagnons est incorporée en vertu de la Co-operatives Associations Act le 7 décembre 1953 à Edmonton.
Le 20 janvier 1954, l’assemblée générale a lieu. Le Conseil d’administration est réélu et les statuts et règlements adoptés.
« Au tout début, c’était vraiment un projet sur une base coopérative assez exceptionnelle. Toute la culture du sol; ils payaient un salaire aux travailleurs pour cultiver la terre. Il y en avait qui travaillaient sur la ferme et ils étaient payés. C’est après qu’ils sont devenus indépendants. » – Hélène et Léon Lavoie
Au printemps 1954, les Compagnons décident d’acheter un moulin à scie car ils pourraient scier leur bois de construction. Ce moulin, arrivé à Saint-Isidore en mars 1954, servira aux chantiers des Compagnons jusqu’en 1959 avant d’être vendu et déménagé dans la région de Fort Saint John.
En 1955, avec l’arrivée de Fernando Girard, la Société ouvre un petit magasin général. D’abord situé dans une grainerie, ce commerce sera ensuite déménagé dans le sous-sol de la demeure de Fernando Girard puis de nouveau en 1961, dans une nouvelle construction qui abritera aussi le bureau de poste. Ce commerce portera le nom de Coopérative de Saint-Isidore.
« Mon père, qui travaillait pour l’UCC du Saguenay, continuait à travailler pour les Compagnons de Saint-Isidore. Il cherchait un gérant permanent et une autre famille pour aller renforcer les rangs, mais il n’a pas été très chanceux. […] Il a alors demandé à ma mère : “Est-ce que ça te dirait si on partait toute la famille pour l’Ouest?“ Ma mère qui était enceinte de quelques mois a dit “non je peux pas voir partir avec 9 enfants et enceinte“. Dans l’entrefait, ma mère a perdu son bébé et elle a vu ça comme un signe. Quand mon père lui en a reparlé, elle a dit : “Ben là, j’ai plus de raison de dire non.“ » – Hélène Lavoie, fille de Fernando Girard
M. Girard assumera la gérance de la Société jusqu’à son départ de Saint-Isidore en 1963. À ce moment-là, c’est Evens Lavoie, fils de Philippe Lavoie, l’un des fondateurs de la Société, qui prend le relais de la gérance du magasin général qui compte alors une superficie de 180 pieds carrés.
C’est en 1956, sur la terre de Valère Grenier que l’école sera construite. On y ajoute une rallonge l’année suivante et le service religieux y sera célébré.
En 1960, les Compagnons construisent un gymnase. Ils espèrent un jour que ce gymnase fera partie d’un centre scolaire. Cette nouvelle construction sert non seulement d’école pour les élèves du district mais aussi de lieu de rencontres communautaires. Même après la fermeture de l’école en 1969, il demeurera un lieu de rencontre jusqu’à l’ouverture du centre communautaire en 1973.
La Société des Compagnons se redéfinit
Le 6 avril 1962, les membres de la Société des Compagnons modifient le mode de coopération dans le domaine de la machinerie. Maintenant, à l’exception de la machinerie de défrichement des terres, toute la machinerie agricole est répartie en quatre secteurs et le capital machinerie est remboursé aux membres pour qu’ils aient les fonds nécessaires pour se procurer les instruments aratoires manquants.
En 1963, l’abbé Bouchard quitte l’Alberta pour le Nord de l’Ontario. Suite à ce départ, la Société des Compagnons prend une toute autre orientation. Bien que l’entraide demeure une valeur importante au cœur des gens de la communauté, les valeurs de la coopération changent, s’adaptent et se modernisent. Les dix premières années furent une période difficile pour toutes les familles qui vinrent s’installer dans la région. Après 10 ans de coopération forcée, les Compagnons sont prêts à coopérer selon les règles qu’ils établissent eux-mêmes.
« La Société des Compagnons devient un organisme économique voué à l’expansion et l’organisation économique d’une communauté de langue française en Alberta. […] Il y a une séparation entre la pratique religieuse et l’organisation politique et économique de la communauté. [1]»
Ainsi, au printemps 1963, les Compagnons organisent des groupes consultatifs de membres afin d’analyser le fonctionnement des services de leurs coopératives, soit le garage, la ferme, le magasin, la construction et le défrichement.
En 1964, les Compagnons décident d’accepter dans la coopérative des membres auxiliaires. Ces membres ont le droit de faire des emplettes dans le magasin et profitent aussi de prix réduits pour l’essence. Ils n’ont pas le droit de vote lors de l’assemblée annuelle de la Société et n’ont pas à investir des sommes considérables.
La situation financière de la Société est précaire. En 1965, les directeurs de la Société des Compagnons signent une entente avec Federated Cooperatives Ltd, pour amalgamer les dettes de la Société et les étendre sur 10 ans.
Le 1er avril 1969, le nouveau garage de la Société des Compagnons est inauguré.
[1] Gisèle Bouchard, De sillon en sillon, de saison en saison: Saint-Isidore, 50 ans d’histoire, Comité historique de Saint-Isidore, 2003, p. 121.
Urbanisation et développement immobilier
« Une des choses qu’on fait beaucoup, c’est le développement de logements, d’habitations, de lots pour agrandir Saint-Isidore. […] On est propriétaire du Domaine des aînés, de quatre terres agricoles et de terrains pour des roulottes. » – Rachelle Bergeron, présidente actuelle de la Société des Compagnons
En effet, le 15 octobre 1983, on procède à l’inauguration officielle de la nouvelle Coopérative d’habitation (six maisons et deux duplex) de la Société des Compagnons Ltée. Cette inauguration se déroule en même temps que celle du Club du Bon Temps, le centre des aînés situé dans le Centre culturel.
Un an plus tard, la Société des Compagnons approche les membres de la Coopérative d’habitation pour la construction d’une dizaine d’autres maisons « coop » dans la communauté. Même si cette idée ne fait pas l’unanimité chez les membres, la proposition est acceptée. La deuxième phase sera complétée en 1987.
Le 24 janvier 1992, la population de Saint-Isidore et de la région de Rivière-la-Paix participe à l’inauguration de la nouvelle clinique médicale de St-Isidore. Cette clinique, sous la direction du Dr Denis Vincent, offrira un service en français. Pour s’assurer de retenir les services du Dr Vincent, la Société des Compagnons de Saint-Isidore investit dans un édifice moderne et lui procure l’équipement nécessaire pour que le médecin puisse offrir un bon service. Dr Vincent restera dans la région quelques années avant de déménager à Edmonton.
La Société des Compagnons crée du même coup le Domaine des aînés qui rassemblait 4 appartements pour aînés au départ mais qui en compte maintenant 13. Cela permet aux personnes âgées qui quittent leur maison ou leur terre de demeurer en plein cœur de Saint-Isidore, près de leur famille, plutôt que de devoir quitter la région. Les résidences sont toutes occupées présentement.
Se tourner vers l’avenir
« Avec l’effort de la communauté, Saint-Isidore demeure une communauté active avec une population grandissante. Comme les premiers Compagnons, les membres actuels de la Société cherchent à bâtir une communauté à la mesure de leurs aspirations.[1] »
Depuis quatre ans, la Société des Compagnons travaille sur un projet de construction de condominiums au village pour les préretraités ou des gens qui souhaitent quitter leur terre, car il n’y a plus de place présentement pour cette clientèle à Saint-Isidore. Ce travail de développement se fait en partenariat avec la municipalité mais l’économie étant ce qu’elle est actuellement, le projet est encore au stade d’ébauche.
« C’est une entreprise, une coopérative et c’est sûr qu’on fait des projets qui ont une allure communautaire, dans le fond c’est plus du développement économique communautaire. […] C’est tellement unique comme entreprise ou organisme parce qu’on a des avoirs, on a des acquis financiers qui nous permettent d’avoir des projets. […] Ça ajoute un autre niveau pour contribuer au hameau, une autre façon que la communauté a pour exprimer ses racines francophones. » – Rachelle Bergeron, présidente actuelle de la Société des Compagnons
La Société des Compagnons tente toujours de répondre aux besoins de ses membres, de faire de l’embellissement dans la communauté et de faire du développement immobilier à Saint-Isidore. Tout cela, en s’assurant de conserver la francité de la communauté au cœur de ses priorités.
« Quand je regarde ce qui était au début et ce qui est aujourd’hui, [je suis fier] de ce que l’on a accompli comme communauté. » – Evens Lavoie, ancien président de la Société des Compagnons
La capacité d’adaptation de la Société est ce qui caractérise l’entité, encore aujourd’hui.
« La Société a été là pour répondre, dans la mesure du possible, aux besoins des membres et résidents de Saint-Isidore, surtout en ce qui concerne l’agriculture, l’habitation, le développement et l’embellissement du hameau. Ces éléments sont encore d’importance aujourd’hui et la Société permet un espace unique de rassemblement, de discussion et d’organisation autour de ces enjeux. En tant que coopérative, la Société a une capacité et une responsabilité bien particulière. Elle offre une voix crédible pour certains enjeux qui touchent les membres et les résidents et sa capacité financière permet de mettre en place des projets qui ne verraient pas le jour autrement. En 2021, les besoins des membres continuent d’évoluer et plus que jamais il faut continuer de se rassembler, coopérer et avoir une vision commune et communautaire. C’est ce qui a façonné le caractère unique et remarquable de Saint-Isidore et un facteur important pour le bienêtre de ses membres. J’espère que par cet esprit coopératif essentiel instauré par les fondateurs, la Société continuera d’inspirer la nouvelle génération de membres à veiller aux besoins de sa communauté. » – Rachelle Bergeron, présidente actuelle de la Société des Compagnons
[1] Gisèle Bouchard, De sillon en sillon, de saison en saison: Saint-Isidore, 50 ans d’histoire, Comité historique de Saint-Isidore, 2003, p. 150.
La rédaction de ce survol historique a été réalisée par Geneviève Bousquet avec la collaboration du CDÉA. Ce survol n’aurait pas été rendu possible sans l’apport de Gisèle Bouchard et son livre “De sillon en sillon, de saison en saison : Saint-Isidore, 50 ans d’histoire”. Notons aussi l’apport de deux ressources importantes, soit le livre “D’année en année : de 1659 à 2000” de France Levasseur-Ouimet ainsi que les archives électroniques du journal Le Franco (http://peel.library.ualberta.ca/newspapers/LFC)